Découvert chez Joëlle, dans sa Bibliothèque du Dolmen, ce roman m'a véritablement passionnée !
1922, Wichita, Kansas. Cora Carlisle, 36 ans, mariée à un avocat, 2 grands garçons étudiants, dame de la bonne société, bien comme il faut, aux idées très arrêtées, se propose comme chaperon : elle accompagne la toute jeune Louise Brooks, 15 ans, à New York, pendant son été de formation auprès de la compagnie de danse Denishawn.
Et ce n'est franchement pas un cadeau ! Cette gamine impertinente est si séduisante, si aguicheuse, si tête brûlée, que tous les hommes se retournent sur son passage. Cultivée, d'une rare intelligence, vive, Louise ressent pourtant les choses mieux que Cora, qui ne s'autorise aucun écart, trop préoccupée, voire écrasée par ses principes.
Et puis Mrs Carlisle a un autre objectif, officieux, en se rendant à NYC : elle compte retrouver l'orphelinat sinistre où elle a grandi avant d'être adoptée par deux fermiers aimants du Kansas. Déçue par la vie, elle veut retrouver ses origines. Au cours de sa quête secrète, elle croisera la route de Joseph, un Allemand venu aux USA avant la guerre en espérant vivre le rêve américain. Cora buvant un verre avec un autre homme ? un étranger de surcroît ? Impensable !
Pourtant, petit à petit, au contact de Louise, Cora évolue, elle se demande si elle est encore en accord avec son époque : elle appartient à l'ancienne école, de ces dames obnubilées par les convenances, le qu'en dira-t-on, qui portent encore jupes longues, gants, corsets et cols montants. A Wichita, certaines de ses amies pensent même rejoindre le terrible (Ku Klux) Klan pour lutter contre la décadence des mœurs ! Mais pas Cora, guindée au grand cœur, qui donne enfin un coup de pied salvateur aux lois absurdes et hypocrites qui régissent son existence et va enfin s'ouvrir à la vie, à la liberté !
A NYC, Louise et son ange gardien découvrent ensemble Broadway et le premier spectacle de Joséphine Baker. Au cinéma, on lit les cartons de dialogue, l'orchestre à côté de l'écran joue de la musique en direct et on s'esclaffe devant les pitreries de Buster Keaton... La jeune fille sait qu'elle ne retournera pas à Whichita où sa mère la détruit : elle veut devenir célèbre !
J'ai avant tout beaucoup aimé la relation entre les deux personnages féminins : d'abord chaotique, toujours compliquée, mais finalement très riche (pour l'une comme pour l'autre).
Ce roman m'a d'ailleurs permis d'en savoir plus sur cette brune piquante dont tout le monde a vu au moins une fois le visage, cette Louise Brooks (1906-1985) à la fois exaspérante, pathétique, troublante et charismatique : elle était "la lame la plus étincelante de cette nouvelle génération en train d'entailler les vieilles conventions". Enfance glauque, jeune fille dévergondée et talentueuse, prête à tout pour réussir, star du cinéma muet maîtresse de Chaplin, divorcée deux fois, délaissée par Hollywood à l'heure du parlant, sombrant dans l'alcool et renouant finalement avec le succès à Paris grâce à une autobiographie acclamée par la critique... Fascinante !
Lien vers un documentaire consacré à Louise Brooks, avec une interview de la dame en couleur dans les années 70 - ça m'a fait bizarre de la VOIR et de l'ENTENDRE ; de plus, on y retrouve tous les faits évoqués dans le livre.
Le roman raconte donc l'histoire de l'immortelle Loulou, mais aussi et surtout le parcours de cette Cora fictive, si représentative de l'évolution des mœurs.
En cette année 1929, aux quatre coins du pays, les garçonnes endiablées dansaient sur la musique jazz et chaque petit souffle de brise continuait de murmurer le nom de Louise dans les pages des magazines et les salles de cinéma. Naturellement, le vent était sur le point de tourner.
Enfin, il nous offre une histoire des Etats-Unis, de la fin du XIXe siècle aux années 80 : le NYC de la prohibition, le Krach de Wall Street, le Dust Bowl (d'effroyables et mémorables tempêtes de poussière), les sittings en faveur des Noirs, la lutte pour l'émancipation des femmes et la contraception, la fondation de l'usine Boeing à Wichita...
Bref, autant de dimensions qui m'ont conquise : un ouvrage captivant que je vous conseille très, très vivement.
505 pages