Betty Smith, "Le Lys de Brooklyn"
Je comptais parler de ce livre (recommandé à raison par Jo, Sous les lilas) pour le Mois Américain de Titine mais septembre a filé sans que j'aie eu le temps de le terminer. Alors le voici qui surgit en plein mois d'octobre : finalement, ça lui convient bien aussi...
Au début du roman, nous sommes à New York, dans le quartier populaire de Williamsburg, en 1912. Mais l'intrigue court sur plusieurs années, en aval et en amont, entre 1900 et 1920. Comme la plupart des enfants du coin, la jeune et pauvre Françoise Nolan, dite Francie, bientôt 11 ans, gagne quatre sous en revendant les papiers et morceaux de métal trouvés dans la rue avec son petit frère Cornelius, surnommé Neeley. Réfléchie mais timide, la fillette fuit un quotidien souvent difficile en se réfugiant dans les ouvrages qu'elle emprunte à la bibliothèque et dans son aspiration à devenir écrivain.
Oh ! qu'elle aimait l'odeur du lieu, mélange de vieilles reliures, de cuir, de colle et de tampons encreurs ! Elle croyait que tous les livres de la terre se trouvaient ici réunis. [...] Les livres bien serrés contre elle, Francie se hâta de rentrer, résistant à la tentation de s'asseoir sur le premier perron rencontré et d'y commencer sa lecture. Elle arriva enfin. L'instant était venu, le merveilleux instant qu'elle avait impatiemment attendu toute la semaine : l'heure de s'asseoir sur l'escalier de secours. Elle étendit d'abord un bout de tapis sur le palier, alla chercher l'oreiller sur son lit, l'appuya contre les barreaux. Par bonheur, il y avait de la glace dans la glacière ; elle en brisa un petit bout, le mit dans un verre d'eau. Les gaufrettes à la menthe achetées à l'Uniprix furent mises dans un petit bol, tout fêlé mais d'un beau bleu ! Francie gagna l'échelle de fer. Une fois-là, elle était dans l'arbre, elle habitait pour ainsi dire dans un arbre. Personne, dessus, dessous ou en face, ne pouvait plus la voir. Mais elle, à travers les feuilles, elle voyait tout ce qui se passait.
C'est que Francie n'est quand même pas malheureuse et en a, des choses à raconter ! Sur son effervescente famille venue d'Irlande, aussi bien du côté Nolan où les hommes ne se font pas vieux (Johnny, le père adoré de Francie, bohème, chanteur, serveur et alcoolique, échappera-t-il à la malédiction ?), que du côté des femmes Rommely : la grand-mère Mary, qui a eu sa dernière fille à 50 ans ; Katie, la maman robuste, peu démonstrative mais fée du quotidien, cuisinant des plats réconfortants à base de presque rien, s'épuisant en ménages pour offrir à ses enfants l'instruction qu'elle n'a pas reçue ; enfin, les tantes Evy et surtout l'ébouriffante Sissy, qui rêve de fonder une famille, croqueuse d'hommes et collectionneuse de "John", ses multiples maris ! :-)
Toutes étaient des créatures minces, presque frêles, avec de grands yeux étonnés et de douces voix émouvantes. Mais toutes étaient faites d'acier.
Une vie pauvre et en même temps pleine de fantaisie, de tendresse. De larmes aussi. Une existence dans laquelle on ne mange pas toujours à sa faim, mais illuminée par la musique et l'espoir, notamment la perspective d'aller à l'école puis au collège et de trouver un travail bien payé pendant la guerre.
Mon Dieu, faites que je sois quelque chose, à chaque instant de chacune des heures de ma vie. Faites que je sois gaie ; faites que je sois triste ; que j'aie froid, ou chaud ; que j'aie faim... ou trop à manger ; que je sois en haillons, ou mise avec élégance, que je sois sincère ou perfide ; loyale ou menteuse ; digne d'estime ou pécheresse. Mais faites que je sois quelque chose, à chaque instant ! Et, quand je dors, faites que je ne cesse de rêver, afin que pas le moindre petit morceau de mon existence ne soit perdu ! (cet extrait, Jo l'avait recopié aussi ^_^)
L'atmosphère du Williamsburg de jadis est vraiment bien rendue : ce faubourg nous prend dans ses bras et ne nous lâche plus, il nous adopte le temps d'un roman et on s'y sent presque chez nous, tout comme les personnages. Personnages vraiment réussis, intéressants, tous colorés, émouvants et attachants, en particulier la jeune héroïne que l'on verra évoluer au fil des chapitres. A la fois récit d'apprentissage et saga familiale, cette histoire féminine (encore une !) a la saveur douce-amère des choses passées. Une très heureuse découverte, que ce texte de 1943 devenu culte aux Etats-Unis.
A lire aussi, le billet très enthousiaste de Pauline qui l'a lu il y a un an.
695 pages
Pumpkin Autumn Challenge
L'Automne Douceur de vivre ~ "Fall" in love (promis : après, j'arrête avec cette catégorie ^_^).