Mary Webb, "Sarn"
Au début du XIXe siècle, dans le comté rural du Shropshire, se trouve l'étang gris et brumeux de Sarn, un lac dont le fond dissimule un village englouti et près duquel habite la famille Sarn, au milieu de son bétail et des champs qu'elle cultive. L'héroïne, Prue, qui présente énormément de points communs avec l'auteure, est la narratrice. C'est elle qui raconte ce qu'il advint de sa famille, de sa mère toute petite, toute brune et ressemblant à un oiseau égaré, et de son frère aîné Gédéon, à partir du décès du vieux Sarn, le père colérique et rancunier.
Le jour de l'enterrement et selon le rite du cru, Gédéon accepte de "manger les péchés" de son père : tous craignent alors qu'une malédiction ne le frappe mais le jeune homme n'écoute que lui-même et a foi en l'avenir. Fort de ses espérances, il tire des plans sur la comète, annonce qu'il épousera la jolie Jancis, fille de Beguildy le sorcier de la région, et qu'il offrira à sa mère et à sa soeur une maison et une existence confortables. Il fera pousser du blé, beaucoup de blé, de l'orge et de l'avoine, et gagnera ainsi énormément d'argent. La réalité sera toute autre et, après les espoirs fous et les bouffées d'optimisme, c'est sa déchéance, sa métamorphose en un être dur et sans pitié que Prue nous relate à sa façon tendre et cruelle à la fois.
J'ai beaucoup aimé ce conte terrible, ce monde ancestral, un brin mystique, avec son nombre restreint de personnages, des figures fortes qui portent vraiment le récit (Gédéon le maudit qui m'a fait songer à Heathcliff chez Emily Brontë, Prue la voix de la raison, Kester Woodseaves le beau tisserand qui fascine toutes les filles et femmes du coin, le meunier taiseux, l'aubergiste...). Les nombreux passages bucoliques (les libellules sur l'étang, les moissons...) sont ciselés, poétiques à souhait et la traduction m'a semblé de grande qualité. Bref, un beau roman, sombre et dense, qui m'a très vite emportée, datant de 1924, découvert chez Curieuse Artemis puis, plus récemment, chez LilasViolet.
375 pages