Eric de Kermel, "La libraire de la Place aux Herbes"

Très agréablement préfacé par un jumeau de prénom, Erik Orsenna (qu'Eric de Kermel appelle son "père de lettres" et qu'il remercie parce qu'il le "tient par la main des mots"), ce court roman m'a paru une petite bulle de bonheur intelligente !

Nous voici à Uzès, dans le Gard, où Nathalie vient de reprendre le local de l'ancienne librairie sise sur la place centrale du village, celle du marché et des rencontres les plus enthousiasmantes. L'héroïne a la cinquantaine, un mari architecte qui fait beaucoup d'allers-retours vers Paris et deux grands enfants qui ont quitté le nid : Guillaume, qui cajole sa mère, et Elise, avec qui elle est sans cesse en guerre. Après avoir longtemps enseigné la littérature au lycée Montaigne, Nathalie a décidé qu'entre les plages de Crozon, en Bretagne, où ils avaient l'habitude de séjourner en vacances, et Uzès, leur autre destination de prédilection, elle préfèrerait s'installer au soleil provençal...

Ralentir est le début du mouvement. Habiter le temps plutôt que de lui courir après. [...] Donner sa chance à la joie.

Sa librairie ainsi que sa nouvelle existence vont lui permettre de faire d'inestimables et touchantes rencontres : il y a bien sûr les 9 portraits de clients marquants, mais on trouve aussi, glissés dans la pâte des paragraphes, une multitude de noms et d'anecdotes supplémentaires, qui apportent un joli piment au texte ! Nathalie s'intéresse aux vies ("Tu ne serais pas en train de devenir la plus grande commère d'Uzès ?" lui demande son époux ;-p) et de merveilleux échanges naissent grâce aux livres...

Les livres tissent un lien invisible entre ceux qui les ont lus.

De Névache à Arles, en passant par Sisteron, c'est aussi une ode au grand sud de la France. Jamais mièvre, toujours clairvoyante et élégante, la plume de l'auteur m'a conquise dans ce texte qui tient à la fois du guide de développement personnel et de la fable moderne. Le côté "leçons de vie" ne m'a pas du tout gênée ; au contraire, je l'ai accepté comme venant d'une narratrice qui se rend aussi compte des erreurs qu'elle a pu commettre. J'ai beaucoup aimé vivre quelques mois (quelques heures, en réalité) aux côtés de tous ces gens, de tous ces auteurs (de mémoire : Rick Bass, Julien Gracq, Jean Giono, Marcel Pagnol, Michel Déon, Le Clézio, Pennac, Colum McCann, Anna Gavalda, François Cheng, Frison-Roche, Christian Bobin, Racine, Virgina Woolf, Joyce Carol Oates etc) et surtout de cette libraire bienveillante, éclairée, éclairante... et gourmande !

En effet, on se régale à travers pages : la truffe, l'huile d'olive, les fromages de chèvres de Leïla, les déjeuners en terrasse, sans oublier le passage consacré aux confitures :

Quand je fais des confitures, ça sent dans toute la maison. Un feu doux sous la grande bassine en cuivre produit un frémissement caractéristique qui fait dire à Nathan avec gourmandise : "J'adore le son de la confiture".

Thank you, Vir, pour cet ouvrage où livres et saveurs se conjuguent joliment ! ^_^
278 pages

(billet 2020 n°35)