En ce dimanche, 1er volet d'une série de lectures "Histoire de France, classiques et marmites",
rassemblant mes diverses et récentes découvertes allant de 1814 à 1914...
Honoré de Balzac, Le Lys dans la Vallée (terminé hier)
Ce roman attendait son heure depuis de nombreuses années (oserais-je dire "décennies" ?), alors que Balzac était mon auteur du XIXe préféré jusqu'à mes débuts d'enseignante. L'écrivain nous emmène ici au coeur de la Touraine (le château de Saché est d'ailleurs largement évoqué), plus exactement sur le domaine campagnard de Clochegourde (oh ce nom !), où vivent le comte et la comtesse de Mortsauf et leurs deux enfants malingres de 9 et 7 ans. Sous la Restauration, le narrateur, Félix de Vandenesse, mal aimé et laissé dans le besoin par sa famille, à Tours comme dans les diverses institutions où sa mère l'a exilé, trouve en la délicate Mme de Mortsauf son âme soeur, une femme qui apaisera enfin ses tourments d'enfant rejeté.
Ce contraste entre mon dénuement et leur richesse engendra mille souffrances. Les célèbres rillettes et rillons de Tours formaient l'élément principal du repas que nous faisions au milieu de la journée. Si j'en entendis parler avant d'être mis en pension, je n'avais jamais eu le bonheur de voir étendre pour moi cette brune confiture sur une tartine de pain.
Il a 23 ans ; Blanche (pour son mari) / Henriette (pour Félix) est une femme mûre mais il est fou d'elle. Elle, de son côté, a à coeur de préserver ses enfants et son honneur, malgré son mariage difficile avec un époux colérique et blessant. De la jeunesse de Félix à la mort de son "lys" chéri, on suit l'évolution des sentiments des deux personnages principaux, l'histoire de cette relation délicate et forcément frustrante.
"Moi ? De quel moi parlez-vous ? Je sens bien des moi en moi. Ces deux enfants, ajouta-t-elle en montrant Madeleine et Jacques, sont des moi."
Les thèmes de l'amour maternel (et quelle mère admirable, cette Mme de Mortsauf !) ainsi que le cadre rural le long de l'Indre m'ont plu, dans ce récit romantique et initiatique. En revanche, je supporte un peu moins bien les descriptions interminables aujourd'hui qu'à 20 ans ! ;-)
284 pages
Titiou Lecoq, Honoré et moi (lu à la fin de l'été)
(où je vous dis tout, à mon tour, sur mon lien à Balzac ;-p)
"Pour la plupart d'entre nous, Balzac c'est
un nom de lecture obligatoire en classe de seconde."
Mon goût pour Balzac remonte en effet au lycée. De lui, j'ai lu (et/ou étudié) ensuite Le Père Goriot, Eugénie Grandet (+ le film avec Jean Carmet), Illusions perdues, Le Colonel Chabert ainsi que quelques textes courts ; je lui ai même consacré la majeure partie de mon mémoire professionnel du CAPES. Bon, Zola, son successeur le plus illustre, l'a depuis remplacé sur la première marche de mes auteurs du XIXe favoris mais qu'importe, on n'oublie jamais ses premières amours.
Honoré Balssa, petit-fils de paysans du Tarn, fut Horace de Saint-Aubin avant de devenir Honoré de Balzac, incontournable monument de la littérature française, épistolier acharné et travailleur infatigable. Mais Titiou Lecoq a choisi d'écrire sur l'homme, et non sur le mythe. Elle rend ici un bel hommage, tendre et mordant à la fois, à cette figure hors normes, à ses énormes défauts, ses immenses qualités, sa malchance monumentale et son génie sans précédent.
(D'ordinaire, je corne une vingtaine de pages marquantes dans un ouvrage. Là, voyez plutôt...)
Cette biographie vitaminée et originale m'a permis de réviser ! (seul bémol : quand une spécialiste parle à 3 reprises de la pension "Vauquier" du Père Goriot, j'espère juste que c'est une faute de frappe, hum ;-p). J'avais oublié que Balzac était mort ruiné (pauvre Eve Hanska, aimée de plus ou moins loin durant 18 ans, épousée 4 mois avant de mourir et qui a continué à éponger les dettes bien après que Balzac l'a quittée !) : pas mal de malchance, beaucoup de mauvais choix et d'inconscience, "un rapport original aux restrictions impliquées par le principe de réalité" (il ne savait pas résister aux belles choses et dépensait sans compter - quel décalage entre sa "rude enveloppe" et ses envies d'élégance, d'objets raffinés donc très chers), des idées complètement folles (j'ai adoré le concept de l'"épicerie monstre" dans laquelle les plus célèbres écrivains du temps se seraient relayés pour vendre légumes et biscuits). Bref, Balzac a connu la misère puis, porté par son ambition démesurée et son envie de s'enrichir à tout prix, n'a pourtant pas su gérer son argent (un thème majeur de son oeuvre, en cela très moderne) : il a écrit la Comédie humaine pressé par des huissiers et les contrats avec ses éditeurs.
Autres faits qui m'ont marquée et émue : non seulement en 2 générations, les rares descendants directs de Balzac (qui n'a eu qu'une fille illégitime) se sont tout simplement éteints, mais en plus, il ne reste pratiquement rien de ses logements successifs (rasés, vandalisés, bombardés) sauf sa maison de Poissy (quasiment vide puisque les magnifiques meubles, tableaux et bibelots furent soit revendus soit saisis). Quelle tristesse ! Je me souviens heureusement avoir visité avec Choco-Mum le château de Saché dans l'Indre-et-Loire, propriété du demi-frère bâtard de Balzac, dans laquelle il résidait et venait écrire régulièrement...
Comme ses proches amis Hugo, Dumas, Gautier et George Sand l'ont souligné, Balzac a révolutionné son époque : l'imprimerie, la diffusion en masse, l'édition dans la presse, le statut juridique de l'écrivain, les thèmes et techniques romanesques, l'évocation de la condition féminine (mariages forcés, psychologie des femmes mariées, vision de la maternité, "Balzac a découvert la femme de 30 ans comme Marx a découvert le prolétariat"). Balzac fut bel et bien un précurseur, or ça ne lui a pas porté bonheur...
Et maintenant j'ai envie d'enfin lire La Peau de chagrin et La femme de trente ans (j'en ai 38, je suis encore dans les temps ;-p) !
Elles ont aussi commenté cette biographie : Lou, George, Un Livre Un Thé.
207 pages
Enfin, une analyse politico-littéraire très pertinente :
Marie Desplechin, Satin grenadine
(interview de l'auteure au moment de la sortie du livre, en 2004)
(le vlog dans lequel je parle de cette lecture)
Il s'agit du premier volet de la série "Les filles du siècle" (dont le 3ème et récent opus, La capucine, a beaucoup circulé sur les blogs ces derniers mois). En 1884, à Paris, on suit Lucie Chassignol, presque 14 ans, issue d'une famille bourgeoise ultra-conventionnelle, avec des parents qui ne s'occupent pas d'elle, laissent le soin de son éducation à une cousine de 24 ans, Marceline, et ne jurent que par Achille, son frère de 15 ans son aîné, un jeune homme apparemment oisif et peu aimable. Mais, dans ce livre, plus que dans tout autre, il ne faut pas se fier aux apparences.
"Quelle maison... Entre ceux qui menacent de se retirer, ceux qui veulent se marier, ceux qui rêvent d'Amérique et ceux qui mènent une double vie, une poule n'y retrouverait pas ses poussins."
Achille cache ses vraies préoccupations et Lucie, petite soeur sans histoires, maigrichonne et futée, pense voyage et féminisme. Il faut dire qu'elle est à bonne école entre la perspicace Marceline et Fanny, la domestique auprès de laquelle elle apprend à faire la lessive, découvre les merveilles et les couleurs des Halles (Zola n'est pas loin) et vit des histoires de coeur par procuration.
Des gourmandises ? Oui, les crèmes renversées savourées dans la cuisine en cachette des parents, les grossières tranches de pain trempées dans la soupe revigorante, de bon matin, au marché.
Ah, il y a aussi son ami Jacques d'Argenton, noble et sensible, avec qui elle peut discuter des heures en cherchant des scarabées dans le beau parc du quartier... Bref, l'existence de Lucie est bien remplie ; sa tête, aussi ; quant à ses projets et ses espoirs, ils sont enthousiasmants ! Aussi plaisants que le style sans heurts et les belles idées de l'auteure, qui a su créer dans cet ouvrage jeunesse un joyeux petit bazar intelligent et lancé vers la modernité. Un bon moment de lecture.
205 pages
Silène Edgar & Paul Beorn, 14-14
Janvier 2014, à Laon (Aisne), Adrien, 13 ans, est mal dans sa peau : la fille dont il est amoureux depuis toujours, Marion, sort avec un autre gars ; sa mère, qui l'élève seule ainsi que sa petite soeur, s'en sort à peine ; il n'a plus envie de travailler en classe. Un jour pourtant, tout change : une vieille dame qu'il croise au cimetière l'entend parler tout seul et l'incite à écrire des lettres à un mystérieux cousin... Grâce à une étrange boîte aux lettres, le garçon écrit à Hadrien, son presque homonyme, 13 ans lui aussi, mais élève studieux et ambitieux, qui a su séduire sa petite copine Simone en réussissant en classe tout en aidant ses parents à la ferme comme il peut. Ce qu'Adrien ignore, c'est qu'Hadrien vit dans un petit hameau voisin, en... 1914 ! Quelques mois avant le début de la Première Guerre Mondiale (dont Adrien connaît, lui, les désastreuses conséquences). Leur correspondance va changer leurs vies, leurs façons de concevoir l'avenir, leurs relations avec les autres aussi...
Un brin de sorcellerie, beaucoup de belles valeurs, un témoignage fictif percutant sur la Grande Guerre : malgré quelques maladresses repérées dans les premiers chapitres, j'ai, comme Blandine, beaucoup apprécié cette lecture pour ados, aussi émouvante qu'instructive. La comparaison entre les deux époques nous fait prendre conscience de la chance qu'on a de vivre maintenant, et le retour dans le passé nous rappelle également ce qui est vraiment important dans la vie. Un texte intelligent et riche que je recommanderai à mes élèves.
269 pages
(billet 2021 n°2 - le précédent : Serge Joncour, Chien-Loup)