Sue Townsend, "La Reine et moi"
Pour cette journée "têtes couronnées" et alors que le climat politique en Angleterre est actuellement très tendu, je vous parlerai d'un roman pas banal, divertissant et formateur, dont la commande fut une erreur (confusion avec un roman jeunesse qui porte exactement le même titre) mais qui m'a fait passé un très bon moment.
Aux alentours de 1994 (année de parution de cet ouvrage), le parti travailliste prend le pouvoir en Angleterre et le nouveau Premier Ministre, un homme mesquin et assez ridicule, ordonne à la Reine d'abdiquer : toute la famille royale doit quitter les fastes de Buckingham, de Clarence House ou de St James pour s'installer dans les logements sociaux d'une cité défavorisée. Les joyaux de la couronne sont vendus et Buckingham est transformé en hôtel de luxe ! Désormais, plus aucun privilège n'est accordé aux Windsor et les Anglais qui auraient encore le réflexe d'une révérence ou d'une attitude trop respectueuse récolteront une lourde amende !
Bref, voilà tous ces anciens nantis téléportés au milieu de gens "normaux", qui ont des soucis de couple, qui font la tête, les courses et la queue pendant des heures aux urgences ou au bureau d'aide sociale, mais qui font face aux difficultés chacun à sa façon. Et chacun à sa façon, les reine, princes et princesses réagissent face à cette nouvelle vie : le Prince Philip, très grossier, préfère rester au lit plutôt que de souscrire à cette affreuse mascarade ; comme nous sommes dans les années 90, Queen Mum est toujours là, avec son sourire inaltérable et quelques bouteilles de whisky cachées dans le placard de l'aspirateur ; la princesse Margaret, dépressive, en profite pour fumer encore plus ; Ann, séparée, ne s'en sort pas trop mal et en profite pour flirter ; ses enfants, Peter et Zara, sont encore tout jeunes, de même que William et Harry qui jouent dans les carcasses de voitures du coin ; Diana promène ses jeans et ses santiags avec élégance (et semble très amoureuse de son mari !?!) ; Charles est d'ailleurs ravi (c'est le seul au palais à avoir voté travailliste !), il cultive son jardin (aux sens propre et figuré) mais atterrit en prison. Quant à la Reine, c'est elle qui s'en sort le mieux : sa capacité d'adaptation, son courage et sa dignité sont incroyables ! Elle ne renonce devant aucune tâche, s'occupe des uns et des autres, montre beaucoup d'empathie, malgré ses inquiétudes :
''Je n'ai pas d'argent, les télécommunications britanniques menacent de me couper le téléphone ; ma mère pense qu'elle est revenue en 1953 ; mon mari se laisse mourir de faim ; ma fille s'est embarquée dans une romance avec mon poseur de moquette ; mon fils passe devant le tribunal jeudi ; enfin, mon chien a des puces et tourne au hooligan."
Commençant comme une fable légère, ce livre prend ensuite l'allure d'une comédie grinçante. La satire et la dénonciation sont bien présentes (les réalités populaires les plus sordides sont évoquées, souvent avec un froid cynisme) or l'auteure parvient à maintenir un bon équilibre entre l'humour né d'une situation totalement inédite et la critique sociale, peut-être dans l'espoir que les "Royaux" réalisent certaines choses... Ce roman mordant m'a donc beaucoup plu ! En prime, on y retrouve avec plaisir (et nostalgie) bon nombre de personnalités aujourd'hui disparues (Queen Mum, Margaret, Diana ; par contre, Andrew et Edward sont peu évoqués) ainsi que des références incontournables des années 90 (l'inoubliable "Benny Hill", par exemple).
PS : Aujourd'hui, Lou présente le très alléchant Les sautes d'humour d'Elisabeth II.
319 pages