Les Rougon-Macquart (Zola)
En mars 2012, j'ai entrepris de lire les 20 romans de la série des Rougon-Macquart dans l'ordre de leur parution (à ce moment-là , je n'en avais encore lu que 2 : Le Ventre de Paris et Au Bonheur des Dames, à relire donc mais cette fois dans la chronologie). Un beau voyage commence, à travers l'Histoire et à travers les mots.
Ci-dessous, mes comptes-rendus de lecture, ou comment je suis tombée amoureuse de Zola, auteur engagé et homme de lettres inégalable :
I. La Fortune des Rougon, 1871
Zola a 31 ans quand il publie le premier roman de cette saga familiale, sorte de photographie sociale de son temps : le destin d'une famille sous le Second Empire. Premier volume et j'ai déjà tout aimé !
Dans le Var, à Plassans (jumelle fictive d'Aix-en-Provence, une cité prospère qui s'endort en ronronnant de bien-être), au cœur de ce XIXe tourmenté qui me plaît tant (en 1851, ouvriers et bourgeois s'affrontent juste avant le coup d'état de Napoléon III), deux intrigues s'entrelacent. D'un côté (dans des passages parfois un peu longs), l'histoire de Miette et de Silvère Mouret qui vivent un bel amour d'enfants dans la grande tradition romantique (une rivière tourmentée, un ancien cimetière, l'ombre de la mort). De l'autre, l'histoire de la famille Rougon, le pleutre Pierre manipulé par son avide épouse Félicité, forte femme prête à tout pour "arriver" (mais sans prendre de risque, n'exagérons rien). Leur salon jaune devient le RDV de tous ceux qui, à Plassans, ont choisi le camp de l'Empereur. Seul un des fils Rougon, Pascal, médecin droit et réfléchi, dénote : ce qu'il aime, lui, c'est observer les gens et tâcher de les comprendre, comme Zola.
Dans ce premier volume au style mesuré, raffiné et à la narration savante, toute en retours en arrière et en "dossiers" que Zola ouvre au fur et à mesure, on rencontre aussi la vieille Adélaïde Fouque (75 ans, presque folle), celle avec qui tout a commencé, mère de Pierre Rougon (né de son mariage avec Marius Rougon, un paysan des Basses-Alpes vite disparu) mais aussi d'Antoine et Ursule Macquart (nés de sa passion coupable avec le contrebandier Macquart).
Tout à la fois, j'ai espéré, souri, pleuré, je me suis mise en colère. Séduite (comme Stephie) et curieuse, je continue avec enthousiasme ! 401 pages
II. La Curée, 1872
1860. Aristide, l'un des trois fils de Pierre et Félicité Rougon, s'est installé à Paris. Pour faire oublier ses mauvais choix politiques et sur les recommandations de son frangin Eugène le ministre, il a changé son nom en Saccard. Comme sa mère, il a les dents longues : pour s'enrichir, il spécule sur des immeubles voués à la démolition, dans ces vieux quartiers sacrifiés au nom des grands boulevards. Pour être remodelée, la capitale doit être éventrée, sur ordre de l'Empereur (voir Rose de T. de Rosnay). Alors Saccard s'en met plein les poches. Pour être plus libre, il se débarrasse de ses enfants ainsi que de sa première épouse trop terne. Conseillé par sa sœur Sidonie, fouineuse et entremetteuse, il se remarie avec la belle et jeune Renée qui lui est infidèle. D'ailleurs, depuis le retour du délicat Maxime, le fils d'Aristide revenu de son exil à Plassans, la jeune dame, lassée de son dernier amant, se sent irrésistiblement attirée par son charmant beau-fils...
Ce roman m'a laissé deux impressions : une vive lumière et un grand vide. La lumière pour les bals costumés, les réceptions fastueuses, d'un raffinement étouffant. Et le vide car tout ça sonne faux ! La richesse n'est qu'apparente, les toilettes somptueuses dissimulent les noirceurs les plus ignobles et la violence est partout. Si Renée ne sait pas ce qu'elle veut, perdue entre l'austérité de son enfance et le clinquant de sa nouvelle vie, Maxime, lui, est aussi détraqué qu'Aristide, négociant véreux qui vole jusqu'à sa femme ! Mon personnage préféré dans ce drame ? M. Béraud du Châtel, le père de Renée, resté sombre et digne dans son manoir glacé. 338 pages
Jane Fonda dans l'adaptation de Roger Vadim en 1966.
III. Le Ventre de Paris, 1873
Dans cette relecture, j'ai retrouvé Florent, un bagnard évadé de Cayenne, où on l'avait envoyé après "la nuit du 4" décembre 1851 (il était du côté des insurgés, contre Napoléon III), qui revient à Paris après 7 ans d'absence. Dérouté par une ville qu'il ne reconnait pas et par les nouvelles Halles devenues un gigantesque "ventre", il demande de l'aide à son demi-frère, le charcutier Quenu, marié à Lisa Macquart, fille d'Antoine l'ivrogne de Plassans, qui lui a donné une fille toute dodue : Pauline. Lisa est aussi la tante du jeune peintre Claude Lantier, le seul véritable ami de Florent. Ce dernier, acceptant un misérable poste d'inspecteur à la marée, se retrouve vite au centre de terribles conflits : d'abord le duel opposant Lisa à la poissonnière Louise Méhudin ; ensuite, la guerre entre deux conceptions de la vie. L'idéalisme et la révolte des Maigres républicains (Florent, ancien professeur crotté, étant le "roi des Maigres") contre la plénitude des Gras qui mènent une petite vie confortable grâce à Napoléon III. Les Maigres ont donc bien du mal à survivre dans ce monde taillé par et pour les bourgeois, d'autant plus dangereux qu'ils ont assez de pouvoir pour les avaler tout crus !
Ce qui frappe et séduit enfin, dans ce roman de la dévoration, ce sont les descriptions du marché : des tableaux magnifiques, mis en lumière par le regard de Claude, et qui rendent le trivial sublime. Ultime détail succulent : les noms attribués aux personnages, en accord avec leur marchandise. Sacré déterminisme ! 424 pages
IV. La ConquĂŞte de Plassans, 1874
Nous voici de retour à Plassans. Prospère et bonhomme, le marchand François Mouret (fils d'Ursule Macquart) a épousé son indolente cousine Marthe Rougon (autre fille de Pierre et Félicité, portrait craché de la vieille Tante Dide, désormais à l'asile). Avec leurs enfants, Octave 18 ans, Serge 17 ans et Désirée 14 ans mais "restée petite fille" (sans doute la consanguinité parentale), ils vivent gaiement dans une vaste maison... jusqu'à l'arrivée de deux locataires particuliers : l'abbé Foujas, individu imposant et mystérieux, accompagné de sa vieille mère. Il y a du Tartuffe dans ce religieux qui s'installe confortablement rue Balande et y fait venir sa sœur et son beau-frère : la famille Faujas envahit la maison et l'abbé, peu à peu, va conquérir la ville, en commençant par envoûter Marthe ! Serge, entre dans les ordres. Octave part à Marseille apprendre le commerce. La petite vie sereine de cette famille sans histoires vole en éclats !
Ce roman très noir m'a happée, grâce à de vifs dialogues et une action constante : que de mic-macs et de passions à Plassans ! On ne peut rester de marbre face à la noirceur malsaine de certains caractères. J'ai haï Faujas, méprisé Marthe et plaint Mouret, dindon d'une triste farce, qui a pourtant su m'émouvoir : c'est lui qui prend en charge sa fille, abandonnée par sa mère, lui qui prend les décisions les plus dures et qui souffre le plus du départ des garçons. Poignant. 417 pages
V. La faute de l'abbé Mouret, 1875
Le tendre Serge est entré au séminaire au milieu du volume précédent, désormais c'est un jeune curé de 25 ans. Après la mort tragique de ses parents, tandis que l'aîné Octave a empoché l'héritage familial et est monté faire fortune à Paris, Serge a recueilli Désirée, sa douce soeur simple d'esprit. En compagnie de La Teuse, une rude domestique normande, frère et soeur se sont installés aux Artaud, une campagne pauvre non loin de Plassans, dont les habitants se passionnent plus pour leurs récoltes que pour la religion. Ce sont des impurs, qui ne croient qu'à la terre et à la chair ! Le docteur Pascal passe souvent voir ses neveux et conduit Serge jusqu'à un domaine abandonné : le Paradou. Serge rencontre alors le vieux philosophe athée Jeanbernat qui, tel Candide, cultive tranquillement son merveilleux jardin. Jeanbernat a recueilli une petite nièce de 16 ans, la lumineuse Albine, sauvageonne en jupes colorées, élevée à la Rousseau, qui va bientôt faire tourner la tête de Serge.
Au final, Zola nous propose une vision assez sinistre de la religion et axe son livre autour du combat intérieur d'un homme. Autant le reconnaître : j'ai eu un mal fou à achever ce volume ! Certes, il comptait peu de pages par rapport aux autres, mais elles se sont révélées très denses, à cause d'incessantes descriptions végétales qui m'ont profondément ennuyée... Bref, ça ne restera pas l'un de mes Zola préférés. 257 pages
Francis Huster dans le rĂ´le-titre en 1970.
VI. Son Excellence Eugène Rougon, 1876
L'aîné de Félicité et Pierre Rougon est devenu "un quelqu'un" à Paris : ministre de l'Intérieur de Napoléon III. Sentant le vent tourner en sa défaveur, il démissionne. Alors que les parasites qui l'entourent vont tout faire pour le replacer dans les bonnes grâces impériales, le naïf Eugène croit être "arrivé" par sa seule volonté. En réalité, avec pour seuls véritables alliés un ancien camarade ivrogne et une épouse insignifiante, il n'aurait jamais réussi ! Le grand homme, manipulé mais heureux, retrouve donc son poste pour faire le sale boulot : pour venger une tentative d'assassinat sur la personne de l'Empereur, on "coffre" les révolutionnaires. En privé, chez les sangsues qui vivent toujours aux crochets d'Eugène, règne la jeune Clorinde. Mais, alors que la belle Italienne s'est jetée à son cou, le ministre l'a rejetée. Inévitablement, elle lui fera payer cet affront.
Les fastes de la cour alternent avec les intrigues les plus basses. Les gens sont des pions qu'on n'hésite pas à détruire et le jeu politique fait frémir par ses indécences et ses incohérences. Rougon m'a paru un homme délaissé, à qui seuls ses illusions et ses grands appétits tiennent chaud. En revanche, j'ai été séduite par la représentation du couple impérial. On nous montre Napoléon III et l'Impératrice Eugénie en privé : avec leur fils tant espéré, leurs courtisans, leurs conseillers, leurs doutes... On découvre aussi la personnalité très effacée et très pieuse d'Eugénie, ainsi que le caractère double et souvent faux de l'Empereur qui finira, lui aussi, comme les autres, par succomber aux charmes sournois de la superbe Clorinde. 303 pages
VII. L'Assommoir, 1877
Voilà l’histoire tragique de Gervaise, l'autre fille de l’ivrogne Antoine Macquart. Conçue dans un accès de violence soiffarde, Gervaise sera comme programmée pour le malheur. A 22 ans, déjà mère de deux garçons de 8 et 4 ans (Claude et Etienne), la jeune femme s’est dépouillée de tout pour payer les caprices de son compagnon, le père des deux marmots : Lantier. Depuis qu’ils ont quitté Plassans pour s’installer à Paris, le brutal Lantier boit et trompe Gervaise... jusqu’au jour où il finit par la quitter. Gervaise, jeune et jolie mais déjà abîmée par la vie, subvient alors seule aux besoins de ses petits, devient blanchisseuse et se rapproche de son voisin Coupeau.
Gervaise m’a d’abord semblé faire preuve d’un grand courage et d’un modernisme surprenant. Puis, avec Coupeau, dangereux dès le départ, les plus gros ennuis arrivent. Si les premiers temps se passent à merveille, émaillés de bonheur(la naissance de leur petite Anna, dite Nana) et de réussite (Gervaise ouvre sa propre boutique et remporte un franc succès), la déchéance ne tarde guère : le ménage à trois, avec le retour de Lantier, la maladie, l'alcool, ingurgité jusqu'à plus soif à "l'Assommoir", le bar du père Colombe, et la misère vont s'insinuer dans le foyer.
Cette pauvreté, cette chute inévitable m'ont vraiment émue. Et ça dégringole jusque dans la langue, l'argot occupant une place de plus en plus marquée dans le texte. Tout se défait, il n'y a plus d'espoir, tout finit mal. Décidément, il n'y a que Zola pour raconter de manière aussi virtuose la réalité du monde ouvrier, même dans ses aspects les plus sordides... 341 pages
Le film de 1933.
VIII. Une page d'amour, 1878
Hélène, la sœur de François Mouret, a grandi et s'est mariée à Marseille, avant de suivre son époux à Paris et de s'y retrouver veuve à 30 ans à peine. Elle habite désormais avec sa fille de 12 ans, Jeanne, et Rosalie, la servante. Seulement, la jeune femme vit quasiment recluse et ne connaît rien de la capitale. Une nuit, alors que Jeanne se trouve au plus mal, Hélène déboule, échevelée, chez le docteur Henri Deberle, son propriétaire. Il prend soin de la fillette et trouve la mère adorable. Mais la petite est de santé fragile et d'un caractère possessif : quand Hélène commence à éprouver à son tour une grande tendresse pour M. Deberle, Jeanne n'est pas prête à partager sa mère, ni avec un homme, ni avec Paris, ni avec personne. Et puis le médecin est marié ! Ah, si Hélène n'était pas aussi honnête ! Et si Mme Deberle, avec ses bals, son beau jardin et son délicat pavillon japonais, n'était pas si charmante ! Au bout du compte, Hélène finira par succomber à cette passion coupable, une folie d'un instant qui lui coûtera très cher...
Ces pages ont filé à toute allure, remplies de questionnements, de désirs et de tourments.
Si je n'ai pas réellement réussi à m'attacher à Jeanne, lunatique et jalouse, le tempérament d'Hélène m'a davantage intéressée : mère ? femme ? amie ? amante ? Elle cherche sa place durant tout le roman et, après s'être totalement sacrifiée pour sa fille adorée, ose enfin faire volte face et revendiquer le droit d'aimer. Pour son plus grand malheur. 416 pages
Jacques Perrin et Miou-Miou dans une adaptation de Serge Moati (1995).
IX. Nana, 1880
Mère très jeune d'un petit Louiset lent et malade, Nana, la fille de Gervaise et Coupeau, est actrice au Théâtre des Variétés, à Paris. Comme toute comédienne de l'époque, la séduisante jeune femme a beaucoup d'admirateurs et compte sur eux pour l'entretenir. Même le comte Muffat, chambellan de l'Impératrice, père de famille digne et droit, soudain ensorcelé, succombe au charme bestial de cette blonde incendiaire ! Dès lors, Nana va profiter de Muffat et de sa fortune, elle lui fera également perdre son honneur et sa raison, le trompant allègrement et se plaisant à le rabaisser continuellement. Entre 1867 et 1870, ce roman relate encore une fois une grande réussite (celle d'une comédienne désirée, adulée, jalousée) suivie d'une descente aux Enfers, une déchéance pitoyable. Celle de l'héroïne, stupidement égoïste et couchant avec tout le monde, mais aussi la perte de ceux qui l'ont côtoyée, comme si elle les avait irrémédiablement salis... Sans oublier la chute du Second Empire.
Décidément, j'ai vraiment détesté et méprisé Nana : dépendant totalement des hommes qu'elle exploite, capricieuse, débauchée, mauvaise mère et femme irresponsable, bête, se servant de ces messieurs avec cruauté et ne sachant prendre aucune décision sensée, elle n'a pas su trouver grâce à mes yeux, malgré les épreuves qu'il lui a fallu traverser. Néanmoins, l'univers du théâtre dépeint ici par Zola a tout de même quelque chose de fascinant : les secrets en coulisses, les rumeurs et les paris lancés dans le foyer des acteurs, les décors, les répétitions... Tout un monde de paillettes et de cocottes d'une autre époque. 492 pages
Martine Carroll incarne Nana en 1955 pour Christian-Jacque (la même année que "Lola Montès").
X. Pot-Bouille, 1882
Bienvenue à Paris, dans l'immeuble de M. Vabre, vieux propriétaire qui loge dans ses 4 étages toute sa riche famille. Et il y a aussi les Gourd, concierges, les Campardon, les Duveyrier, les Josserand, les Pichon... sans oublier les domestiques de tout ce petit monde, qui vivent au dernier étage. Cherchant à se faire une situation, Octave Mouret, fils aîné de François et Marthe, loue une chambre dans cette "maison honnête" et prend ses repas chez les Campardon, amis de ses parents. Très vite, le jeune homme va chercher à utiliser ses voisines pour se faire un nom. Essayant (souvent en vain) de coucher avec toutes les femmes qui l'entourent, il jettera son dévolu sur la belle Caroline Hédouin qu'il épousera dès la mort de son époux, propriétaire d'un magasin nommé "Au Bonheur des Dames"...
En entrant dans l'intimité de toutes ces familles (on n'en demandait pas tant, le dégoût n'est pas loin), on comprend que, sous un verni respectable et trompeur, il règne dans ces foyers une atmosphère de profonde débauche et de misère affective : humiliations, héritages détournés, règlements de comptes, les maris trompent leurs femmes, les épouses trompent leurs maris, les maîtres couchent avec leurs domestiques. Enfin, petite anecdote : l'immeuble abrite également la famille d'un écrivain, seul foyer heureux de la maison. J'ai beaucoup apprécié cette savoureuse mise en abîme avec un auteur qui publie des "romans sales"... 464 pages
En 1957, GĂ©rard Philipe est Octave Mouret ; Danielle Darieux joue Mme HĂ©douin.
En 1972, Marie-France Pisier incarne Berthe Josserand à la télévision.
XI. Au Bonheur des Dames, 1883
Octave Mouret, le frère de Serge, est resté marié bien peu de temps à Mme Hédouin : la pauvre est décédée, laissant le jeune homme veuf... et riche, à la tête d'un immense magasin de nouveautés : "Au Bonheur des Dames". Temple du commerce moderne, l'enseigne de Mouret casse les prix et engloutit peu à peu toutes les anciennes boutiques du quartier de la Place Gaillon. Denise Baudu, 20 ans, nièce d'un vendeur de draps menacé par le "Bonheur", arrive à Paris avec ses frères, le beau Jean (une vraie tête à claques) et le petit Pépé. Son oncle n'ayant pas de place à lui offrir, Denise entre au rayon confections du "monstre", au sein duquel elle va, durant sept douloureuses années, gravir peu à peu les échelons.
Ah, quelle satisfaction de (re)lire un roman de Zola qui offre enfin un dénouement heureux ! Malgré des passages infiniment pathétiques montrant l'agonie des petits marchands, l'histoire (d'amour) se termine bien. Léger bémol : si je me suis régalée à découvrir les rouages d'une si colossale machine, j'ai tout de même trouvé quelques redites dans certains chapitres. Mais ce n'est qu'un détail face à la virtuosité avec laquelle l'auteur dépeint, d'un côté, la passion sans limites de la femme pour le futile et, de l'autre, la passion d'Octave pour celle qui ne cède pas. Ah, cette Denise, quelle force de caractère ! Elle aurait pu abandonner, se désespérer, craquer. Elle tient pourtant bon, clairvoyante et digne, forçant le respect : "Elle se faisait de la vie une idée de logique, de sagesse et de courage." Est-ce pour cela que Zola a choisi de nommer sa fille Denise ? En tout cas, je l'ai admirée de la première ligne au dernier mot. 513 pages
Denise dans la série américaine "The Paradise" + Denise Zola, photographiée par son père. Un clic pour la source.
XII. La joie de vivre, 1884
Pauline, fille des charcutiers Quenu (sa mère, Lisa, était une Macquart), a 10 ans lorsqu'elle perd ses parents et hérite de leur fortune. Son tuteur, Aristide Saccard, n'ayant guère de temps à lui consacrer, ce sont les époux Chanteau, une vieille institutrice et un ancien exploitant-charpentier paralysé par la goutte, qui l'accueillent à Bonneville, un village de pêcheurs normand balayé par les tempêtes. Telle une fée, la riche Pauline égaye la morne existence des Chanteau et de leur fils Lazare. En grandissant, pourtant, elle sera volée, exploitée, dénigrée par Mme Chanteau, qui la ruinera et poussera même son fils chéri dans les bras de la légère Louise, alors qu'il devait épouser Pauline. Et ce Lazare ! Un bon à rien que l'héroïne doit toujours consoler et ménager, incapable de finir quelque chose : médecine, chimie, construction, musique, finance, il abuse de la bonté de Pauline pour payer ses échecs.
Zola nous montre encore une fois toute la misère humaine : d'abord la pauvreté des pêcheurs de Bonneville, dont la plupart boivent et battent leurs enfants, aussi vicieux qu'eux ; et surtout la noirceur de la Chanteau, à qui l'intérêt a fait perdre la tête et tout respect. Au milieu de la débâcle, trois personnages ont pourtant gagné ma sympathie : Véronique, la solide bonne au caractère changeant, l'abbé Horteur, simple et réaliste, et le père Chanteau, qui tient à la vie malgré la maladie, la souffrance et son horrible femme. Quant à Pauline, forte et dévouée, son entêtement à se sacrifier pour le bonheur des autres a fini par m'agacer : c'est une brave fille, généreuse, vaillante, honnête, mais finalement à quoi bon ? Quelle injustice ! 440 pages
Le téléfilm de 2011.
XIII. Germinal, 1885
Le grand combat opposant les ouvriers aux bourgeois et au capital, représentant les germes d'une société nouvelle ! "Notre tour est venu !" Sans doute le roman le plus célèbre de Zola... Le héros en est Etienne Lantier, un des fils de Gervaise (de L'Assommoir) et frère de Nana qui a quitté le Midi pour le Nord. Ayant du mal à trouver du travail, et se demandant sans cesse quand la folie et l'alcoolisme de ses parents vont le rattraper, il se fait engager comme mineur de fond à Montsou, dans la fosse du Voreux, où il fait la connaissance de la famille Maheu : le vieux Bonnemort (50 ans de fond), son fils Toussaint, son admirable épouse dite la Maheude et tous leurs enfants, l'aîné Zacharie, la douce Catherine, Jeanlin l'ado tête à claques et maraudeur, puis une jeune bossue, deux petits de moins de 8 ans et enfin la petite dernière qui tête encore. Etienne rencontre aussi Souvarine, l'extrémiste anarchiste venu de Russie, et Rasseneur qui, après des années au service de la Compagnie, réfléchit désormais derrière le comptoir de son auberge. Jeune et idéaliste, Etienne s'élève contre les conditions de travail et l'exploitation de ses pitoyables collègues, se découvre un réel talent d'orateur et incite à la grève générale... Celle-ci portera-t-elle ses fruits ? Car les patrons, eux, ne semblent pas entendre les cris de leurs ouvriers : les femmes continuent à tromper leurs riches maris, les maris pleurent leurs illusions perdues, les filles continuent à se promener, à se régaler de chocolat et de brioche pendant que les ouvriers crèvent de faim et se demandent comment ils vont bien pouvoir survivre quelques heures de plus !
♫ Pierre Bachelet, "Les Corons"
Encore un grand personnage, que cet Etienne bouillonnant, passionné mais qui se cherche encore, épaulé par de belles figures comme les époux Maheu et la droite Catherine. Dans ce tome décoloré, en noir et blanc, la plume de Zola, d'une puissance incroyable, nous emmène sous terre, à travers tunnels et veines de charbon, au milieu d'un peuple besogneux, invisible et misérable, qui attend vainement un espoir, un changement. Certaines scènes de la 7ème partie sont d'une intensité presque insoutenable ; quant au tableau final, après un automne et un hiver absolument terribles, le grand "soupir douloureux" qu'on entend sous les champs qui renaissent : quelle beauté ! 503 pages
Renaud (Etienne), Judith Henry (Catherine), Gérard Depardieu et Miou-Miou (les Maheu) sous la direction de Claude Berri en 1993 (reportage d' "Envoyé Spécial" consacré au tournage du film).
XIV. L’œuvre, 1886
o
Notes : Je lis souvent les romans de Zola par deux. Comment vous dire ?
Dès que j'ai refermé un volume, je me rends compte que je n'ai absolument pas envie de quitter ce XIXe qui me charme tant. Il me faut rester à cette époque, dans l'intimité d'un foyer de ce siècle, près de la cheminée, dans un salon, dans une chambre à coucher, m'oublier dans le quotidien de ce temps-là , raconté sous cette plume-là , avec ce talent fou qui permet d'entendre le bruissement d'une robe à crinoline, les couverts qui s'entrechoquent, les roues des fiacres sous les fenêtres et les flammes qui crépitent dans l'âtre. Je vois du brun, de l'ivoire, du velours rouge, de la grosse toile aussi parfois. Vous comprenez ? Ressentez-vous cela avec certains auteurs ?
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