L'univers des jeux "Yakuza" (par Totoro)
Comme pour "Shenmue", j'ai de nouveau demandé à Totoro de présenter un jeu vidéo lié à certains aspects structurant la société japonaise.
"Yakuza", le cœur du Japon
"Yakuza" est une saga de 7 jeux (canoniques ou "l'histoire véritable") et de nombreux spin-offs (prolongement de l'univers de manière non-canonique) s'étalant de 2005 sur Playstation 2 à 2018 sur Playstation 4. C'est un jeu en "monde ouvert", c'est-à-dire que le joueur est libre de se déplacer où il veut. Il mélange jeu d'action et de combat le long d'une quête principale souvent passionnante, ponctuée de petites quêtes annexes assez redondantes, elles, et de mini-jeux souvent très drôles.
Japon d'hier et d'aujourd'hui
La série de jeux "Yakuza" dispose d'un univers très riche, autant au niveau des personnages que des lieux visités. Contrairement à beaucoup de jeux en monde ouvert, les "Yakuza" se déroulent à l'échelle d'un petit quartier de Tokyo, Kamurochô (inspiré du quartier réel Kabukichô, reconnaissable par son grand portique rouge) mais également d'autres quartiers de villes japonaises, allant d'Okinawa à Osaka, en passant par Hiroshima. Les lieux respirent la vie japonaise à pleins poumons. Les marchands, les ambiances, les couleurs... C'est simple, nous y sommes. De plus, le déroulement chronologique des jeux (passant de 1988 pour Yakuza 0, à 2016 pour Yakuza 6) montre un quartier en pleine évolution, avec des passants ancrés dans leurs époques.
Roman graphique
L'histoire des jeux "Yakuza" est portée par une écriture soignée et poignante. C'est l'écrivain Japonais Hase Seishû qui a lancé l'histoire du premier épisode, histoire complexe, base d'une arborescence absolument fabuleuse pour les autres épisodes de la saga.
L'histoire commence en 2005, lorsque Kiryû Kazuma, ex-Yakuza, sort de 10 ans de prison pour avoir endossé l'assassinat de son oyabun (chef de famille), crime qu'il n'a pas commis. Il décide alors d'enquêter sur la disparition de son amour d'enfance, Yumi, et découvre avec stupeur les rêves de pouvoir de son ami d'enfance, Akira, ami qui est le véritable assassin de l'oyabun et pour lequel Kiryû s'est sacrifié.
En effet, Kiryû, Akira et Yumi ont été élevés ensemble dans le même orphelinat, sous la protection d'un Yakuza réputé pour sa droiture. Malgré ses avertissements, Kiryû et Akira finiront par devenir Yakuza eux-mêmes, au sein de la puissante famille Dôjima du clan Tôjô. Lorsque le patriarche Dôjima essaie de violer Yuki, Akira le tue. Kiryû endosse le crime, passe 10 ans en prison et se voit exclu de son clan. A sa sortie, il ne reconnaît pas le quartier qu'il a quitté 10 ans auparavant. Ni ses amis.
Le dragon de Dôjima
C'est bien là que réside, à mon sens, la grande force de cette série. Son histoire et ses personnages, complexes, entrent dans les moindres détails du fonctionnement des clan Yakuza, de leur code d'honneur, des règles de succession à la tête des clans et de la complexité des affaires les concernant.
Mais au-delà de ça, les jeux traitent de sujets bien plus profonds : l'amour, l'amitié, le pardon et l'oubli.
Avant de partir en prison, Kiryû était un Yakuza extrêmement craint et respecté malgré son jeune âge. Le dragon de Dôjima, comme on l'appelle au sein du clan Tôjô, est un combattant hors pair, un homme d'honneur, torturé par son statut de Yakuza et sa bonté. Lors du premier épisode, il recueille Haruka, la fille de Yumi, son amour d'enfance. A partir de là va s'étendre une magnifique histoire de filiation et de protection patriarcale, parfois maladroite : cet homme est fait pour le combat mais seulement pour protéger ce qu'il a de plus cher. La relation entre Haruka, jeune fille de 9 ans dans le premier épisode et jeune femme de 20 ans dans le dernier, et Kiryû, est au centre de toutes les histoires complexes au sein de ce milieu mafieux.
Car oui, malgré son titre occidental, le jeu ne traite pas que des Yakuzas, mais de bien d'autres choses. D'ailleurs, le titre japonais "Ryû ga gotoku" ("Comme un dragon") n'est pas aussi réducteur.
Kiryû est un dragon. Il en a un dans le dos (le tatouage, sacré pour les Yakuza, représentant son esprit) mais il en a surtout un dans le cœur. Il défendra becs et ongles ce qui lui est cher, n'hésitant pas à se retourner maintes fois contre son clan ou ses supérieurs s'il estime qu'il y a une injustice. Ce personnage m'a profondément marqué par son humanité et sa droiture.
Actors Studio
Les autres personnages de "Yakuza" ne sont pas en reste, avec une modélisation faciale incroyable. Elle transmet les émotions et nous permet de voir de grands acteurs en action, tout comme l'inénarrable Takeshi Kitano du 6e épisode. En parlant d'émotions, le 6e épisode de "Yakuza", "The song of life", marque la fin des aventures de Kiryû, mais pas celle de la saga. D'autres jeux se déroulant dans cet univers gigantesque viendront.
(Takeshi Kitano dans un tout autre registre que "L'été de Kikujiro")
Pour conclure, ayant parcouru le quartier de Kamurochô pendant plus de 20 ans (in-game), j'ai l'impression d'avoir vu du "vrai" Japon. Ce jeu donne de puissantes charges sensorielles, allant de l'admiration face à un plat traditionnel dégusté dans une ruelle de Tokyo à une randonnée sur les hauteurs d'Hiroshima. Mais également des charges émotives inoubliables, allant des éclats de rire d'un Kiryû se dandinant dans un karaoké, à la mort et à la trahison de certains personnages, dans des scènes où chaque coup donné fait aussi mal que s'il était vraiment reçu. Je ne vous cache pas les quelques larmes que je n'ai pu retenir face à celles de Kiryû à certains moments du jeu, ou la fierté de faire ce qui est juste envers et contre tout.
L'émotion du Japon et de ses valeurs dans un jeu vidéo, c'est inoubliable.
Totoro, 19 avril 2019
(billet 2019 n°23)
(présentation, programme et choco-récap par là)