Hubert Haddad, "Ma"
Conquise par Le peintre d'éventail l'an passé et par ma brève mais charmante rencontre avec l'auteur au Salon du Livre de Paris en mars dernier, j'ai été ravie de découvrir cet autre roman japonais prêté par Choco-Mum.
Avant tout, deux mots sur le titre (explication Wikipédia) : "Ma" est un terme japonais qui signifie "intervalle", "silence", "espace", "distance", "durée". Son kanji symbolise un soleil entouré par une porte. Ce terme est employé comme concept d'esthétique, il fait référence aux variations subjectives du vide qui relie deux objets, deux phénomènes séparés.
Je me souviens du dernier soir comme si c'était demain.
Ce vide, c'est ce que recherchent peut-être les deux figures au centre du récit : le timide Shoichi, étudiant myope de 20 ans au début des années 90, qui rencontre à Kabukicho (le quartier "chaud" de Tokyo) Saori, une femme mûre fraîchement divorcée dont il tombe éperdument amoureux et qui l'initie à l'oeuvre et à la vie du poète Taneda Santoka (1882-1940) dont elle a traduit les haïkus. En effet, Saori voit en son jeune amant une sorte de double de l'écrivain-moine-marcheur, myope lui aussi, qui a passé la moitié de sa vie à arpenter les montagnes japonaises en cherchant à se détacher de "l'encombrement du monde".
(les poètes Hosai et Santoka)
Marqué tout petit par le suicide de sa mère, devenu un grand buveur de saké en même temps qu'un éminent haïkiste, ami de Hosai (1885-1926), en fuite devant les responsabilités qui emprisonne un homme dans la vie, Santoka a mené une existence incroyable et aussi incroyablement triste : des origines de sa famille à Sabare au grand séisme qui a ravagé Tokyo en 1923 (aussi évoqué dans Elle s'appelait Tomoji), du monde des revues littéraires à celui des temples zazen, il voit évoluer la société nippone, bien qu'il la fuie. Des femmes qui partent, des hommes qui (se) cherchent et vagabondent : tels sont les personnages qui peuplent Ma.
Rien ne nous porte que l'instant présent.
A travers les méandres du temps, des saisons et des amours, ce récit teinté de philosophie, rédigé d'une plume incroyablement douce et raffinée, nous invite à la promenade, à la réflexion, à la simplicité et au détachement. Merci, Choco-Mum ! ^_^
201 pages
(billet 2019 n°15)
(présentation, programme et choco-récap par là)